Attraction
2021
A l’intérieur d’un espace très graphique, que des fils tendus partitionnent, murent, plafonnent, créant des lignes de fuite, des distances, des vides, quatre danseurs dessinent ensemble une danse abstraite, organique, collective. Mus par un instinct primitif, agis telle une meute, ils investissent l’espace du jeu pour le plaisir de créer de la forme. Leur production individuelle de mouvements et de sons se transforme au gré de leur production commune. Un va-et-vient dialogue entre l’un et le tout, entre intérieur et extérieur, entre ce que le spectateur voit et ce qu’il projette dans l’intervalle des pleins et des vides, des supports (les corps) et des surfaces (les espaces) faites d’aplats et de perspectives.
Le quatuor mettra ainsi en balance la notion d’attraction, comme une force magnétique, avec celle de distraction, évoquant le manège et ses sensations physiques. Ici, pas de relation discursive au corps ni à l’écriture chorégraphique, mais bien une plongée dans la forme elle- même. Entrer en relation avec, par la force des choses ou par l’intérêt suscité. Participer à l’expérience spectaculaire dans ce qu’elle offre d’à part, d’insondable. Se créer sa réalité, différente de celle de l’autre. Décrocher du mental. Ôter toute explication tangible. Ne s’en tenir qu’aux sensations provoquées. Se fier à son intuition telle que Bergson la définit dans La pensée et le mouvant, comme « la sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable ».
Le son en direct qui émane du souffle des danseurs, de leurs voix, rend le mouvement palpable, charnel, sensuel, et révèle la présence du danseur au-delà de son enveloppe.
Pour prolonger cette idée d'une composition chorégraphique qui s'attache essentiellement à sa forme, le mouvement des danseurs sera intimement lié à la bande-son de la pièce.
Nous travaillons à partir d'une composition originale qui réunit différents instruments. Isolé, chaque instrument porte sa force musicale propre, réunis, ils composent ensemble une cohérence musicale, fabriquent le "morceau" d'un quatuor.
Les quatre danseurs sont les interprètes de cette partition, qui se déroule tout au long de la pièce, dans une alternance de sons et de silences. Chaque danseur est l'interprète de l'un des instruments. Il est maître d'une piste.
Par son souffle, au gré de sa composition chorégraphique, il déclenche la piste musicale qui lui appartient, avec la liberté de jouer sur sa durée. Se développe alors une composition chorégraphique et musicale inédite et aléatoire, dont les danseurs deviennent les auteurs, les maîtres du jeu. La parfaite coïncidence entre le mouvement et le son rend cette vibration commune d'autant plus étrange qu'il n'y a pas d'autre choix que de "croire" à ces corps-instruments.
Pour cette pièce, Vincent Dupont a imaginé une scénographie réalisée à partir de fils tendus dans des directions multiples, occupant tout le plateau, venant à la fois contraindre le mouvement et lui offrir un terrain de jeu infini, reconfiguré sans cesse par les danseurs, les fils pouvant être déformés et déplacés tout au long de la pièce.
La perception du spectateur oscille ainsi entre ce qui existe matériellement sur scène et ce qu'il projette mentalement, happé par un espace ludique au parcours incertain, aux lignes mouvantes.