Mouvement – 5 décembre 2007 – par Gérard Mayen
Incantus, nouveau projet chorégraphique de Vincent Dupont, orchestre la plasticité extrême des convergences et divergences de toutes les composantes du spectacle. Un champ de forces en suspension présenté au CNDC d’Angers, et les 10 et 11 décembre au laboratoire d’Aubervilliers dans le cadre du festival 100 Dessus Dessous.
Au soir de sa création, il y avait un moment pas tout à fait réussi dans la représentation d’Incantus, nouveau projet chorégraphique de Vincent Dupont. Dans la dernière partie, par l’intervention d’un système de capteurs par ailleurs très sophistiqué, on lisait très clairement l’interaction entre les gestes et les voix des trois interprètes de plateau. On ressentait de façon directe les effets d’altération recherchés à partir des premiers sur les secondes. A ce moment là , ce mode d’induction immédiate et resserrée, évidente et donc pauvre, contrastait avec l’extraordinaire qualité antagonique du restant de la représentation.
En effet Incantus élève une ode au principe d’espacement. Non sans quelque chose d’un rituel, toutes les composantes de ce spectacle fonctionnent en réseau de résonances, à l’image d’un champ de forces en suspension, animées de dynamiques tout aussi divergentes que convergentes. Cela ne fait en rien opposition, mais instruit au contraire un déploiement par flux et dérivations, opérant dans la matière autant qu’avançant sur le fil, et toujours travaillant la faille. Les connexions s’y multiplient (convergences), comme dégageant une diversité de niveaux de résonances (divergences). 
Pour y caractériser sa collaboration, Yves Godin dit vouloir « faire des lumières avec la danse et non pas pour la danse » (1). Hormis les lumières, on se sent dans l’obligation de citer toutes les collaborations à ce projet : déjà Vincent Dupont porteur de cet Incantus jusqu’au bord du plateau, d’où il projette l’incantation vocale – donc physique – qui lui insuffle sa visée, comme magique ; mais aussi ses trois performers – on veut dire plutôt danseurs, comédiens : Olivia Granville, Werner Hirsch et Manuel Vallade. Enfin, outre Yves Godin, les créateurs et performers live d’une présence plastique mouvante du son (la platiniste Raphaëlle Latini, le réalisateur sonore Thierry Balasse) ; le concepteur des interactions technologiques Armando Menicacci, à assimiler pleinement lui aussi aux collaborations artistiques. Et on en passe, pour le travail de la voix ou la création costumes. Tous travaillant avec et non pas pour.
Les actuels développements technologiques se traduisent par une explosion de potentialités foisonnantes et légères. Jusqu’au péril de submersion. Incantus travaille à la retenue dans l’usage, par concentration extrême, finalement au comble de la fragilité, sur la saisie des interactions possibles. Une grande complexité y est déclinée dans un régime de grande sobriété.
L’intérêt d’Incantus n’est pas qu’il s’y passe quelque chose – comment en décrire la mince action ? Mais que cela passe, transite, faisant la passe. C’est une avancée composée. Incantus produit un monde de l’engagement absolu dans une plasticité de présences co-extensives à une globalité d’espace vibratile. Il redistribue la donne du premier geste au plateau, comme jamais gagné d’avance ; et à rejouer, à explorer, en suspension et rareté. Qu’Olivia Grandville soit une danseuse éprouvée, Werner Hirsch – alias Antonia Baher sur d’autres plateaux – un performer transgenre, et Manuel Vallade un comédien corporel, redit ce goût de la diversité des enjeux et options. Cela ménage l’espacement qui seul ouvre à la performativité de la séparation interprétative de soi à soi et au monde. 
Par ses sons, ses lumières, ses voix, ses chairs, Incantus est une pièce peuplée de fantômes. Elle résonne sourdement caverneuse, rocailleuse, granuleuse et crayeuse, au liminaire d’interrelations qui appellent le spectateur à un partage sensible d’une aventure perceptive formidablement singulière.
(1) Cette citation est tirée de la dernière parution du Journal des Laboratoires qui ouvre plusieurs de ses pages à leurs réflexions. Vincent Dupont est un artiste associé des Laboratoires d’Aubervilliers.